Antologia Cocut,, Tome 1
Intro générale (Etienne)
Première partie : le fonds ancien.
On chante en occitan depuis au moins l’an Mil et sans doute avant, même s’il en reste peu de traces. Et dès la fin du XIe siècle, apparaissent les premiers troubadours, et leurs poésies faites pour être chantées -d’où leur nom de Canso, chanson. On en compte des milliers, pour quelque 400 auteurs, mais seuls 10 % en gros des mélodies ont été conservés. Pour des raisons qu’on épargne au lecteur, le temps des Troubadours s’arrête à la fin du XIIIe siècle, et leur répertoire disparaît avec la société aristocratique pour qui il était produit. Autant dire que rien ne s’en est transmis, et qu’on n’en retrouve rien dans le répertoire de la chanson occitane de tradition populaire (on oublie donc Gaston Febus auteur du Se Canta, ou le Boier comme message codé des cathares). Tout au plus a pu survivre, en étant repris par les classes populaires, un modèle, celui de la pastourelle (un dialogue musclé entre un seigneur et une paysanne, appartenant à ce que les spécialistes des troubadours appellent, significativement, les « genres popularisants »). On trouvera ici quelques exemples de ce type de chanson. Et, du point de vue de la versification, a aussi pu survivre le système de la laisse assonnancée, emprunté à la chanson de geste (la Chanson de Roland entre autres) : une longue série de vers dont la syllabe finale comporte toujours la même voyelle. C’est ce qu’on trouve dans certaines romances (ici l’Escriveta) ou des chansons comme le Boier ou les Fielairas, qui pourraient donc bien constituer la strate la plus ancienne du chant populaire occitan (XVIe siècle, voire fin du XVe). Il est assez intéressant de voir que ces textes les plus anciens ne se retrouvent que dans une zone allant de l’Espagne au nord de l’Italie, signe que pendant longtemps, c’est avec le sud de l’Europe que les contacts et les échanges ont été les plus intenses. C’est à la période suivante (dès fin XVIe) que le modèle de la chanson française du temps prend le dessus, pour des raisons liées aux progrès du pouvoir royal sur des régions qu’il contrôlait jusque là d’assez loin.
Ce qui caractérise le répertoire ancien, c’est d’une part sa large diffusion un peu partout en pays d’oc, voire au delà. Cette diffusion est très probablement essentiellement orale, chaque région adaptant telle chanson qu’elle reçoit à la variété dialectale locale (ce qui se passe aussi au fil des ans, pour le rajeunissement de la langue, par élimination des mots ou des formes qui ne sont plus en usage). Bien entendu, au cours du processus, des éléments du texte se perdent, d’autres se rajoutent, et il finit par être impossible d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler la version originale (car il y en a eu fatalement une, avec un auteur déterminé dont on n’a pas conservé le souvenir et le nom, mais qui a existé : ce n’est pas « la voix du peuple » qui est ici productrice). Et la perte d’information au fil des ans et des déplacements du modèle induit des raccourcis et des ellipses qui rendent parfois obscur le déroulement de l’histoire, même si on peut toujours compléter par le recours à une version mieux conservée, à condition de la trouver. Dans le pire des cas, on peut même avoir des chansons qui changent de sujet en cours de route, parce qu’à un moment donné, un interprète a perdu le fil et s’en est tiré en déviant sur une autre chanson (on fournira un exemple le moment venu).
Justement, de quoi parle cette chanson occitane ? On a évoqué la pastourelle, dont on a de nombreux exemples un peu partout. Il y a aussi les romances qui racontent une histoire, en général tragique, mettant en scène des rois, des chevaliers, de nobles dames persécutées, des marins perdus en mer, etc. Mais il y a aussi des chansons satiriques, humoristiques et parfois, disons, lestes. Tout cela fera (peut-être) l’objet d’une autre publication. Il y a aussi des chansons d’amour, en général malheureux (car les gens heureux n’ayant pas d’histoire, comment faire des chansons à leur sujet ?). Le répertoire pyrénéen est ici d’une grande richesse mais toutes les régions fournissent des spécimens. D’autres chansons évoquent le quotidien, et notamment le travail, celui de la terre au premier chef.
Beaucoup se présentent sous forme dialoguée, mais ce n’est pas systématique. Et beaucoup reposent sur la répétition de chaque vers ou de chaque couplet, moyen de permettre la mémorisation par les auditeurs, et, le cas échéant, de les impliquer dans l’exécution collective du chant. Car si on connaît ce répertoire à travers les collectages qui se sont succédé depuis le XIXe siècle et qui continuent encore, il est évident que ce n’est pas dans les livres que ceux qui les chantaient les avaient trouvés. Répétons-le, leur transmission était orale, nourrie par leur exécution dans certains contextes (fêtes, certaines occasions au cours de l’année, veillées, sans oublier le moment réservé à telle ou telle de activités agricoles auxquelles certains chants étaient liés).
Et puis, à un moment (au XXe siècle essentiellement), ces contextes et ces occasions ont disparu. Et ceux qui continuaient à chanter pouvaient préférer un répertoire plus moderne, circulant sur papier, porté par des orchestres professionnels remplaçant les violonaires ou cabretaires d’avant, diffusé par les nouveaux médias du XXe siècle. Autant de nouveaux airs à la mode, plus séduisants que les vieilleries héritées des anciens. Sans oublier un fait essentiel : qui dit chanson occitane dit maîtrise de la langue, par les chanteurs comme par ceux qui les écoutent. Inutile de dire que si cette maîtrise était générale en milieu populaire il y a un siècle, on n’en est plus vraiment là.
Mais ce n’est pas une raison pour oublier complètement ces vieux airs, non ? Et c’est ici qu’intervient Lo Cocut.
En greu esmai
En greu esmai et en greu pessamen
an mes mon cor et en granda error
li lauzengier e.l fals devinador,
abaissador de joi e de joven;
quar vos qu’ieu am mais que res qu’el mon sia
an fait de me departir e lonhar,
si qu’ieu no.us puesc vezer ni remirar,
don muer de dol, d’ira e de feunia.
Cel que.m blasma vostr’ amor ni.m defen
non pot en far en re mon cor meillor,
ni.l dous dezir qu’ieu ai de vos major
ni l’enveja ni.l dezir ni.l talen;
e non es om, tan mos enemics sia,
si.l n’aug dir ben, que non lo tenh’ en car,
e, si ‘n ditz mal, mais no.m pot dir ni far
neguna re que a plazer me sia.
Ja no.us donetz, bels amics, espaven
que ja ves vos aja cor trichador,
ni qu’ie.us camge per nul autr’ amador
si.m pregavon d’autras donas un cen;
qu’amors que.m te per vos en sa bailia
vol que mon cor vos estui e vos gar,
e farai o; e s’ieu pogues emblar
mon cor, tals l’a que jamais non l’auria.
Amics, tan ai d’ira e de feunia
quar no vos vey, que quan ieu cug chantar,
planh e sospir, per qu’ieu non puesc so far
ab mas coblas que.l cors complir volria.
Traduction de Raoul Goût et André Berry :
« En grave émoi et grave inquiétude ils ont mis mon cœur et aussi en grande détresse les médisants et les espions menteurs qui rabaissent joie et jeunesse car pour vous que j’aime plus que tout au monde ils vous ont fait partir et vous éloigner de moi à tel point que si je ne puis vous voir ni vous regarder j’en meurs de douleur, de colère et de rancœur.
Ceux qui me blâment de mon amour pour vous ou veulent me l’interdire ne peuvent en rien rendre mon cœur meilleur ni faire croître encore mon doux désir de vous non plus que mon envie, mes désirs, mon attente et il n’y a pas un homme, fût il mon ennemi que je ne tienne en estime si je l’entends dire du bien de vous, mais s’il dit du mal, tout ce qu’il peut dire ou faire ne me sera jamais plaisir.
N’ayez pas de crainte, bel ami qu’envers vous je n’aie jamais le cœur trompeur ni ne vous délaisse pour quelque autre amoureux, même si cent dames m’en priaient, car mon amour pour vous me tient en sa possession, et veut que je vous consacre et vous garde mon cœur ainsi je ferai, et si je le pouvais être mon cœur, tel l’a qui jamais ne l’aurait.
Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir de ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, je me plains et je soupire parce que je ne puis faire avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir .
LO VIÈLH COCUT
1/ Sus un pibol un vièlh cocut èra crancat
Gaitava d’un aire morrut un paure passerat
E l’aire triste, la larma a l’uèlh se planhissiá
D’èsser gamat, de venir vièlh, totjorn disiá.
Partirai lèu pel grand voiatge,
Soi petaçat coma un curvèl
Cresi qu’ai tres pels al cervèl
E de cuçons coma un formatge
Partirai lèu pel grand voiatge !
2/ L’aucèl ditz amb una grimaça « As de topet
De metre cinc quilòs de glaça darrièr’l copet
Un emplastre de milhàs suls gautissons. »
L’autre respond, en se gratant los ausidors.
Partirai lèu pel grand voiatge,
Soi petaçat coma un curvèl
Cresi qu’ai tres pels al cervèl
E de cuçons coma un formatge
Partirai lèu pel grand voiatge !
3/ Tu n’es qu’une vielha ròssa i diguèt un coga-uòu
Per t’anar faire la nòça dins mon nis pondiás un uòu
Après, aquí me daissavas e ieu me’l caliá cogar,
Sens me portar una maissada. Me podiái pas bolegar !
N’es qu’una ròssa, un grand fainéant !
Un gròs voyou, un sacripant !
Un tròp digús, un non digús
Un vièlh fripon, una canalha !
Te caldrà crebar sus la palha !
4/ Mas un jorn qu’espertinava un mossèl
Un caissal qu’embarrasave l’enganossèt
E i crebèt mema la melsa e lo viscòr,
Sens que se reviscolèssa, lo trapèron mòrt.
E partiguèt pel grand voiatge,
Tot petaçat coma un curvèl
N’aviá que tres pels al cervèl
E de cuçons coma un formatge
Qué volètz ! èra son grand atge !
5/ Al cementèri, una agaça prononcèt aquel discors :
“Amícs, çò que nos tracassa es de veire tant de plors.
Serià bograment daumatge de salir los mocadors
Per un cocut tant volatge que fusquèt totjorn joiós.
Adieu amic. Sens vantardisa
Te’n vas coma un vièlh caminòt
T’es tant trufat del cant del chòt
T’es perdut per la bavardisa,
N’aviàs pas mema de camisa !
UN VÈSPRE
Un vèspre m’entredormirai
Vèspre d’octòbre o de novembre,
Se Dieu m’aima.
Qu’aime lo freg, qu’aime la nuòch,
La nuòch maire, la longa nuòch.
Qu’aime l’ivèrn, lo fuòc que tuba,
La suja escura et la beluga
E sos mistèris en camin.
Qu’aime la nuòch selva fonsuda
Dont lo jorn peneca a sortir.
Qu’aime la cendre silentosa
A l’entorn d’un lum tremolant
E mon ombra sus la paret !
Entre qu’espère lo corbàs
L’aucèl de las armas perdudas
Campejadas pel vent banhat.
Per traire al jorn de ma partença,
Masca enraucada e profetica,
Lo vièlh resson dau « jamai pus ».
LA RONDA DELS MORTS
1/ Qualqu’un sospira, Menina, Qualqu’un plora aval.
Dins lo fum qualqu’un camina, Al torn de l’ostal.
Dins lo ventàs qualqu’un prega, O ! Menina, ai paur !
Dins lo fum qualqu’un renèga, Al ras del pont nòu.
2/ Lo can jaupa jos la pòrta, Al trepeg que fan …
Los que caminan per òrta, D’ont venon ? ont van ?
Son los paures mòrts, nenòta, Que’l ser de Totsants
Fan lo torn de la vilòta. Vai … son pas missants.
3/ Tre qu’amont, dins l’escurina, Tinda l’Angelus,
Jol lençòl plegant l’esquina, Del fons del treslutz,
Cap a nosautres tornatz, trèvas, Passatz lo grand Riu
Per dire a las armas grèvas, Que lo mòrt es viu.
4/ Que noirissètz nòstra vida, Paures trespassats
E que sèm que l’espelida, Dels sègles passats (…)
Sénhers, faidits e lauraires, Pecats e vertuts,
Los nòstres mòrts remembraires, Totes son venguts.
5/ Es venguda la Menina, Del fons del treslutz
Aussissent dins l’escurina, Tindar l’Angelus (…)
La nuèit vos garde, Meninan, Dins son fum gelós,
Mas mon ama s’encamina, Sens paur prèp de vos. (bis)
6/ Qualqu’un sospira, Menina, Qualqu’un plora aval.
Dins lo fum qualqu’un camina, Al torn de l’ostal.
Loisa Paulin ¨Laurent Cavalièr