LAS CANÇONS …

La folle équipée du COCUT. 

Tout commence en 1992, par un mariage dans un coin perdu de la montagne ardéchoise, et la cruelle constatation que les amis du père de la mariée sont nettement à court de chansons communes. D’autant plus qu’ils imaginent pouvoir chanter en occitan. Il y a une certaine distance entre l’écoute de disques, y compris longuement rabâchés au grand désespoir de l’entourage proche, et la reproduction plus ou moins réussie des chansons écoutées. La preuve en est rapidement faite. Outre cette –inévitable- approximation, la joyeuse bande en question s’aperçoit alors qu’ils ne connaissent pas les mêmes chansons. Et qu’ils sont, de toute façon incapables d’aller, ensemble, plus loin que le premier couplet. La panne sèche, en quelque sorte. Suffisamment spectaculaire pour provoquer un sursaut de mobilisation, et la naissance d’un projet de « chansons occitanes pour noces et banquets » d’autant plus urgent que la descendance desdits amis s’était mise à songer sérieusement aux mariages. La série s’annonçait nombreuse. Mal préparés une fois, ça va, mais pas deux, ni dix…Voilà comment le germe du Cocut est apparu au XXème siècle finissant. Depuis, le temps a permis de polir doucement le joli conte que vous venez de lire, et de lui donner l’apparence d’un projet mûrement réfléchi et patiemment mis en œuvre. Ce qui est évidemment totalement mensonger. Rien n’était prévu, ni le nom, ni la durée, ni la palette des activités qui se sont mis en place. Rien, sauf la collection de chansons. 

Et voilà pourquoi il me faut introduire le répertoire qui suit. Bien évidemment, les amis n’étaient –et ne sont –pas des chanteurs patentés ou soigneusement formés dans les conservatoires. Quelques-uns ont fréquenté les chorales, avec plus ou moins d’enthousiasme et d’ennui : pas question de reproduire le moule du chant à pupitres, malgré des efforts louables de récupération de partitions dans les pochettes de disques ( ?), les livres de collectages, les anthologies. Sans grand succès, d’ailleurs, tant la « musique » des chansons occitanes est massivement réduite à une ligne mélodique. Avec parfois un accompagnement de guitare. Quelques harmonisations de chefs de chœur. Que fait-on des pupitres de femmes, quand on est un groupe d’hommes ? L’éternelle histoire de la poule et du couteau.  

Les paroles, en revanche sont plus largement accessibles et lisibles, au prix d’un petit effort pour comprendre le code graphique de l’occitan. Et ses multiples modalités parasites, variantes qui s’épanouissent depuis les musicologues et folkloristes du XIXème siècle jusqu’aux collectages contemporains. Le groupe fit donc collection de textes, pensant naïvement arriver assez vite à un répertoire d’une cinquantaine de chansons, voire moins, car nous ignorions à l’époque las cantèras, Joseph Canteloube, Félix Arnaudin, et Louis Lambert. Notre horizon s’arrêtait à Marti, Los de Nadau, Montjòia et Carlotti. Le Corou de Berre était au-delà du trescòl, Lo còr de la Plana hors sytème solaire, et la Mal coiffée en train de naître. Cette heureuse ignorance crasse explique que nous nous soyons lancés avec enthousiasme dans une quête que nous pensions vite finie, et que nous n’ayons jamais posé des critères de tri. Sauf celui de la langue, car il ne s’agissait bien sûr pas de constituer un répertoire de Chants du Monde, d’autres le font si bien ! Pêle-mêle, des chansons parfaitement machistes, des chansons occitanistes, des chansons de femmes, des « Au clair de la lune » occitans, même des « Marseillaises » sont entrées dans le sac du COCUT, qui prend quelques années après sa naissance, ce nom parfaitement ironique et galejaire. Forra-borra, comme on dit en occitan. A la va-comme-je te pousse…Telle chanson, étiquetée « chiée » par le sélectionneur du moment, figure quelque temps comme le tube préféré de la bande, puis s’efface doucement. D’autres chansons, rétives à nos assauts, n’arrivent pas à intégrer le répertoire. Parmi les difficultés d’adoption, figurent en première place les chansons écrites pour un soliste et le spectacle, souvent défigurées quand elles « passent » par un groupe qui n’est pas particulièrement expert en souffle continu et en rythmes rapides. Quant à la syncope…Dans la bande, Jacques Dainat a très tôt endossé le rôle du greffier : il entassait les chansons, fouillait dans les livres et le Net naissant pour traquer les différentes versions, pratiquait la greffe audacieuse d’une version limousine sur des paroles provençales, et, comble de perversité, allait jusqu’à  proposer des chansons dont les paroles lui plaisaient, en dépit du manque de mélodie. L’apprentissage se faisait exclusivement à l’oreille. Aucun d’entre nous ne maîtrisait d’instrument, bien peu solfiaient, et c’était plutôt un ânonnement qu’une mélodie, parfois une psalmodie, mais à peine. La prise en main des chansons était donc lente. Avec le temps, ceux qui étaient les plus agiles dans le chant se risquaient à placer une seconde voix. Les tierces au-dessus et au-dessous ont servi de repères majeurs à ces « prises de risques ». Il me revient des séances où nous avons repris plusieurs fois de suite la même mélodie, pour permettre à l’un d’entre nous de « stabiliser » sa voix. Il y a donc eu ceux qui assurent la mélodie, et ceux qui font des fantaisies. Y compris, bien sûr, des fausses notes, des décalages involontaires dans le phrasé, des rattrapages acrobatiques, de très belles irrégularités peu maîtrisées. Et un groupe pour qui une chanson réussie, c’était un cheminement où chacun trouve sa place, où le groupe se constitue dans le chant, au moment de la répétition ou en public. Sans le savoir, bien qu’on l’ait dit, nous avons pratiqué le chant spontané : celui qui fabrique un groupe, un collectif, dans l’acte de chanter ensemble, chacun s’ajustant à l’ensemble. Tout autre chose que le groupe constitué, composé, sélectionné et habillé avant de chanter, qui démarre le chant tous ensemble, avec toute les voix, et fuit les approximations comme des fautes. Une façon de faire société, d’arriver à un accord, un son, une résonnance qui ne sont pas donnés d’avance ou calculés, écrits. Quelque chose d’autre que la grande musique, le bel canto et The Voice. Qui n’est pas de la « bonne » musique mal exécutée, mais plutôt une sorte de cérémonie sociale où le groupe se construit en construisant son chant. Après une chanson réussie, j’ai vu des collègues étonnés, voire stupéfaits de ce qu’ils avaient fait. Et un beau silence pour savourer le moment. 

Bien sûr, cette démarche est expliquée a posteriori. Les membres du Cocut auraient bien rigolé si on leur avait proposé de se lancer dans un tel programme « expérimental ». On aurait entendu parler d’élucubrations, de farfantelles, de lubies d’intellos et quelques autres compliments de ce genre. L’apparence du groupe est une bande d’amis, sans façon, au point de donner aux retrouvailles hebdomadaires la forme d’un rassemblement autour d’une table, un verre à la main et quelque chose à grignoter, pour marcher droit en sortant. L’entrée est libre, la sortie de même. Pendant longtemps, la présentation du Cocut était accompagnée de la mention « On accepte jusqu’à 40% de gens qui chantent faux ! ».  Le bon moment passé ensemble se double d’une récompense plus aléatoire, mais fréquente. À la suite de hasards qui n’en sont pas, le Cocut s’est retrouvé, de plus en plus souvent, devant un public, en spectacle. La première fois, la moitié du groupe a reculé sans le vouloir jusqu’au mur du fond de scène. On était d’accord pour chanter ensemble, pas devant des gens ! Ce même public, craint, a souvent été sensible à notre « manière ». D’abord parce qu’un groupe d’hommes qui chante, et le plaisir qu’il y prend, sont émouvants. Et aussi parce que le côté bricolé, pas toujours parfait, change des produits soigneusement calibrés, rappelle l’oncle qui chantait à la fin des repas de famille, ou les chants de fête votive, de café. Souvent, certains « spectateurs » se lancent à pousser « la leur » avec plus ou moins de bonheur. Le relais passe, et il se passe quelque chose…En chantant, on se parle. Et pour parler aux gens, le mieux est encore d’aller vers eux, à l’occasion d’un repas, de portes ouvertes, de visites guidées, en bref de n’importe quelle manifestation qui ne soit pas un spectacle organisé. Là, lo Cocut donne toute la mesure de son talent : il a tendance à foncer vers les gens pour les envelopper d’une chanson, en relation avec leurs lieux d’origine, ce qu’il y a sur la table, la présence d’une jolie femme… Il engage la conversation. Il sort de la scène. 

Tout cela suppose un répertoire large (difficile de chanter une chanson gasconne à une tablée de Provençaux), et de l’agilité : ça la fout plutôt mal de dire «Attendez un peu, on doit avoir quelque chose pour vous, mmm…voyons voir…. ». Passons sur l’agilité, qui n’est pas l’objet de la publication, et venons-en au répertoire. Comme Gargantua, il a régulièrement crû, jusqu’à atteindre un bel embonpoint. Les nouveaux arrivés, qui venaient attirés par l’ambiance, la lumière, et parfois l’amour de l’occitan devaient affronter une montagne de chansons à mémoriser pour arriver à se mêler sans problème à la folle équipée du Cocut. Cela revenait, en fait, à instaurer un long stage d’insertion. Depuis 15 ans, l’alerte a été donnée. Tout d’abord, Jean Clavel a qualifié le répertoire du Cocut de « trésor », qu’il serait dommage de laisser balloter au gré des courants et des tempêtes. Et qu’il serait intéressant de conserver. Stratégie patrimoniale, bien sûr. Jusque-là, on chantait en toute innocence, et on avait créé un répertoire ! Évidemment très riche, très intéressant, très cultivé, et tout et tout. Dans un second temps, le groupe a essayé de classer les chansons, pour donner aux nouveaux arrivants une idée du viatique qu’il faudrait absolument maîtriser –peu à peu-, et du volume des chansons de second plan, oubliées, abandonnées, voire même jamais vraiment chantées. Rude tâche, qui visait aussi à simplifier une éventuelle publication. Là-dessus, dans les années 2010, on a vu fleurir, à l’initiative de Dominique Boudet, une série de petits livrets de sélections, à caractère pérennes ou à l’occasion d’un spectacle. Ils comptaient de 10 à 60 chansons, et tendaient à préciser le noyau dur des chansons du Cocut. Pour aller plus loin, on a essayé de répartir, avec un soin religieux, les chansons entre un paradis (celles qu’on chante bien, qu’on aime bien, qui sont « bien »), un purgatoire (les chansons éventuellement repêchables en cas de besoin…) et l’enfer (celles qu’il vaut mieux oublier).  

L’éclectisme de la « sélection » générale faite au cours de la vie (plus que trentenaire, aujourdhui) du Cocut a créé une base générale extrêmement variée, en termes d’époque, donc de style musical et de maquette de la chanson, en termes de zones d’origine et degré de diffusion dans le monde occitan, et, bien sûr en termes de « messages ». De la nòva cançon occitane des années 1960-1970 au trad labellisé, sans oublier les chansons politiques et le répertoire religieux et para-religieux, les romanceros, les poésies affublées d’une musique plus ou moins savante. On ne s’étonnera pas que cette diversité maximale – qui n’empêche nullement l’unité ( !)- ait encore compliqué, et gêné les efforts de classement.  

Ce classement en paradis-purgatoire et enfer n’est pas réellement fonctionnel (il y a une centaine de chansons au « paradis »), il cohabite encore avec un fonds exhaustif de 250 chansons environ, régulièrement augmenté de nouveaux apports. Le seul classement vraiment réussi a distingué les Nadalets (chants de Noël) des autres chansons. Utilisés au cours de l’Avent, y compris dans des réunions familiales ou amicales, les Nadalets sont nettement placés dans le calendrier annuel, leur thème (rappeler la Nativité, la rendre proche des gens, en y glissant plus ou moins de saine doctrine) est parfaitement identifié. 

Le besoin de « trier » le répertoire accumulé au cours des années marque la fin d’une première époque du Cocut, celle l’exploration sauvage des chansons occitanes. Elle nous a au moins appris que leur nombre n’a rien à voir avec celui que nous avions en tête au début de l’histoire. Et que jamais le Cocut ne chantera tout le répertoire occitan. C’est peut-être heureux !  

L’autre objectif de l’exploration décomplexée et sans a priori de la ressource en chanson était de voir si, dans le fatras des chansons disponibles, ne se cachaient pas quelques perles dignes d’être nettoyées, au besoin, et surtout mises en valeur comme cela s’est largement fait pour le chant populaire en Italie, ou dans le « Mystère des voix bulgares ». Plutôt que le classement ethnographique, explorer ce répertoire sous le prisme du chant populaire, comme l’ont si bien fait Giovanna Marini, les chanteurs corses, les explorateurs de l’héritage catalan ou aragonais. Mais ceci est une autre histoire, celle de la dialectique (ou de la différence?) entre la musique savante (classique, du Roi, de l’Eglise) et le chant populaire (des aubades, du bistrot, des fêtes, des crises…et des Nadalets). 

 

copyright©2025Esteve Hammel 

 Cocut,, Tome 1

https://drive.google.com/file/d/1lvuetk5g30TGPp9iO7v2p4EuMZUzinKn/view?usp=sharing

Première partie : le fonds ancien.

On chante en occitan depuis au moins l’an Mil et sans doute avant, même s’il en reste peu de traces. Et dès la fin du XIe siècle, apparaissent les premiers troubadours, et leurs poésies faites pour être chantées -d’où leur nom de Canso, chanson. On en compte des milliers, pour quelque 400 auteurs, mais seuls 10 % en gros des mélodies ont été conservés. Pour des raisons qu’on épargne au lecteur, le temps des Troubadours s’arrête à la fin du XIIIe siècle, et leur répertoire disparaît avec la société aristocratique pour qui il était produit. Autant dire que rien ne s’en est transmis, et qu’on n’en retrouve rien dans le répertoire de la chanson occitane de tradition populaire (on oublie donc Gaston Febus auteur du Se Canta, ou le Boier comme message codé des cathares). Tout au plus a pu survivre, en étant repris par les classes populaires, un modèle, celui de la pastourelle (un dialogue musclé entre un seigneur et une paysanne, appartenant à ce que les spécialistes des troubadours appellent, significativement, les « genres popularisants »). On trouvera ici quelques exemples de ce type de chanson. Et, du point de vue de la versification, a aussi pu survivre le système de la laisse assonnancée, emprunté à la chanson de geste (la Chanson de Roland entre autres) : une longue série de vers dont la syllabe finale comporte toujours la même voyelle. C’est ce qu’on trouve dans certaines romances (ici l’Escriveta) ou des chansons comme le Boier ou les Fielairas, qui pourraient donc bien constituer la strate la plus ancienne du chant populaire occitan (XVIe siècle, voire fin du XVe). Il est assez intéressant de voir que ces textes les plus anciens ne se retrouvent que dans une zone allant de l’Espagne au nord de l’Italie, signe que pendant longtemps, c’est avec le sud de l’Europe que les contacts et les échanges ont été les plus intenses. C’est à la période suivante (dès fin XVIe) que le modèle de la chanson française du temps prend le dessus, pour des raisons liées aux progrès du pouvoir royal sur des régions qu’il contrôlait jusque là d’assez loin.

Ce qui caractérise le répertoire ancien, c’est d’une part sa large diffusion un peu partout en pays d’oc, voire au delà. Cette diffusion est très probablement essentiellement orale, chaque région adaptant telle chanson qu’elle reçoit à la variété dialectale locale (ce qui se passe aussi au fil des ans, pour le rajeunissement de la langue, par élimination des mots ou des formes qui ne sont plus en usage). Bien entendu, au cours du processus, des éléments du texte se perdent, d’autres se rajoutent, et il finit par être impossible d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler la version originale (car il y en a eu fatalement une, avec un auteur déterminé dont on n’a pas conservé le souvenir et le nom, mais qui a existé : ce n’est pas « la voix du peuple » qui est ici productrice). Et la perte d’information au fil des ans et des déplacements du modèle induit des raccourcis et des ellipses qui rendent parfois obscur le déroulement de l’histoire, même si on peut toujours compléter par le recours à une version mieux conservée, à condition de la trouver. Dans le pire des cas, on peut même avoir des chansons qui changent de sujet en cours de route, parce qu’à un moment donné, un interprète a perdu le fil et s’en est tiré en déviant sur une autre chanson (on fournira un exemple le moment venu).

Justement, de quoi parle cette chanson occitane ? On a évoqué la pastourelle, dont on a de nombreux exemples un peu partout. Il y a aussi les romances qui racontent une histoire, en général tragique, mettant en scène des rois, des chevaliers, de nobles dames persécutées, des marins perdus en mer, etc. Mais il y a aussi des chansons satiriques, humoristiques et parfois, disons, lestes. Tout cela fera (peut-être) l’objet d’une autre publication. Il y a aussi des chansons d’amour, en général malheureux (car les gens heureux n’ayant pas d’histoire, comment faire des chansons à leur sujet ?). Le répertoire pyrénéen est ici d’une grande richesse mais toutes les régions fournissent des spécimens. D’autres chansons évoquent le quotidien, et notamment le travail, celui de la terre au premier chef.

Beaucoup se présentent sous forme dialoguée, mais ce n’est pas systématique. Et beaucoup reposent sur la répétition de chaque vers ou de chaque couplet, moyen de permettre la mémorisation par les auditeurs, et, le cas échéant, de les impliquer dans l’exécution collective du chant. Car si on connaît ce répertoire à travers les collectages qui se sont succédé depuis le XIXe siècle et qui continuent encore, il est évident que ce n’est pas dans les livres que ceux qui les chantaient les avaient trouvés. Répétons-le, leur transmission était orale, nourrie par leur exécution dans certains contextes (fêtes, certaines occasions au cours de l’année, veillées, sans oublier le moment réservé à telle ou telle de activités agricoles auxquelles certains chants étaient liés).

Et puis, à un moment (au XXe siècle essentiellement), ces contextes et ces occasions ont disparu. Et ceux qui continuaient à chanter pouvaient préférer un répertoire plus moderne, circulant sur papier, porté par des orchestres professionnels remplaçant les violonaires ou cabretaires d’avant, diffusé par les nouveaux médias du XXe siècle. Autant de nouveaux airs à la mode, plus séduisants que les vieilleries héritées des anciens. Sans oublier un fait essentiel : qui dit chanson occitane dit maîtrise de la langue, par les chanteurs comme par ceux qui les écoutent. Inutile de dire que si cette maîtrise était générale en milieu populaire il y a un siècle, on n’en est plus vraiment là.

Mais ce n’est pas une raison pour oublier complètement ces vieux airs, non ? Et c’est ici qu’intervient Lo Cocut.

 

En greu esmai

En greu esmai et en greu pessamen
an mes mon cor et en granda error
li lauzengier e.l fals devinador,
abaissador de joi e de joven;
quar vos qu’ieu am mais que res qu’el mon sia
an fait de me departir e lonhar,
si qu’ieu no.us puesc vezer ni remirar,
don muer de dol, d’ira e de feunia.

Cel que.m blasma vostr’ amor ni.m defen
non pot en far en re mon cor meillor,
ni.l dous dezir qu’ieu ai de vos major
ni l’enveja ni.l dezir ni.l talen;
e non es om, tan mos enemics sia,
si.l n’aug dir ben, que non lo tenh’ en car,
e, si ‘n ditz mal, mais no.m pot dir ni far
neguna re que a plazer me sia.

Ja no.us donetz, bels amics, espaven
que ja ves vos aja cor trichador,
ni qu’ie.us camge per nul autr’ amador
si.m pregavon d’autras donas un cen;
qu’amors que.m te per vos en sa bailia
vol que mon cor vos estui e vos gar,
e farai o; e s’ieu pogues emblar
mon cor, tals l’a que jamais non l’auria.

Amics, tan ai d’ira e de feunia
quar no vos vey, que quan ieu cug chantar,
planh e sospir, per qu’ieu non puesc so far
ab mas coblas que.l cors complir volria.

Traduction de Raoul Goût et André Berry :

« En grave émoi et grave inquiétude ils ont mis mon cœur et aussi en grande détresse les médisants et les espions menteurs qui rabaissent joie et jeunesse car pour vous que j’aime plus que tout au monde ils vous ont fait partir et vous éloigner de moi à tel point que si je ne puis vous voir ni vous regarder j’en meurs de douleur, de colère et de rancœur.

Ceux qui me blâment de mon amour pour vous ou veulent me l’interdire ne peuvent en rien rendre mon cœur meilleur ni faire croître encore mon doux désir de vous non plus que mon envie, mes désirs, mon attente et il n’y a pas un homme, fût il mon ennemi que je ne tienne en estime si je l’entends dire du bien de vous, mais s’il dit du mal, tout ce qu’il peut dire ou faire ne me sera jamais plaisir.

N’ayez pas de crainte, bel ami qu’envers vous je n’aie jamais le cœur trompeur ni ne vous délaisse pour quelque autre amoureux, même si cent dames m’en priaient, car mon amour pour vous me tient en sa possession, et veut que je vous consacre et vous garde mon cœur ainsi je ferai, et si je le pouvais être mon cœur, tel l’a qui jamais ne l’aurait.

Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir de ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, je me plains et je soupire parce que je ne puis faire avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir .

LO VIÈLH COCUT
1/ Sus un pibol un vièlh cocut èra crancat
Gaitava d’un aire morrut un paure passerat
E l’aire triste, la larma a l’uèlh se planhissiá
D’èsser gamat, de venir vièlh, totjorn disiá.
Partirai lèu pel grand voiatge,
Soi petaçat coma un curvèl
Cresi qu’ai tres pels al cervèl
E de cuçons coma un formatge
Partirai lèu pel grand voiatge !
2/ L’aucèl ditz amb una grimaça « As de topet
De metre cinc quilòs de glaça darrièr’l copet
Un emplastre de milhàs suls gautissons. »
L’autre respond, en se gratant los ausidors.
Partirai lèu pel grand voiatge,
Soi petaçat coma un curvèl
Cresi qu’ai tres pels al cervèl
E de cuçons coma un formatge
Partirai lèu pel grand voiatge !
3/ Tu n’es qu’une vielha ròssa i diguèt un coga-uòu
Per t’anar faire la nòça dins mon nis pondiás un uòu
Après, aquí me daissavas e ieu me’l caliá cogar,
Sens me portar una maissada. Me podiái pas bolegar !
N’es qu’una ròssa, un grand fainéant !
Un gròs voyou, un sacripant !
Un tròp digús, un non digús
Un vièlh fripon, una canalha !
Te caldrà crebar sus la palha !
4/ Mas un jorn qu’espertinava un mossèl
Un caissal qu’embarrasave l’enganossèt
E i crebèt mema la melsa e lo viscòr,
Sens que se reviscolèssa, lo trapèron mòrt.
E partiguèt pel grand voiatge,
Tot petaçat coma un curvèl
N’aviá que tres pels al cervèl
E de cuçons coma un formatge
Qué volètz ! èra son grand atge !
5/ Al cementèri, una agaça prononcèt aquel discors :
“Amícs, çò que nos tracassa es de veire tant de plors.
Serià bograment daumatge de salir los mocadors
Per un cocut tant volatge que fusquèt totjorn joiós.
Adieu amic. Sens vantardisa
Te’n vas coma un vièlh caminòt
T’es tant trufat del cant del chòt
T’es perdut per la bavardisa,
N’aviàs pas mema de camisa !

UN VÈSPRE
Un vèspre m’entredormirai
Vèspre d’octòbre o de novembre,
Se Dieu m’aima.
Qu’aime lo freg, qu’aime la nuòch,
La nuòch maire, la longa nuòch.
Qu’aime l’ivèrn, lo fuòc que tuba,
La suja escura et la beluga
E sos mistèris en camin.
Qu’aime la nuòch selva fonsuda
Dont lo jorn peneca a sortir.
Qu’aime la cendre silentosa
A l’entorn d’un lum tremolant
E mon ombra sus la paret !
Entre qu’espère lo corbàs
L’aucèl de las armas perdudas
Campejadas pel vent banhat.
Per traire al jorn de ma partença,
Masca enraucada e profetica,
Lo vièlh resson dau « jamai pus ».

LA RONDA DELS MORTS
1/ Qualqu’un sospira, Menina, Qualqu’un plora aval.
Dins lo fum qualqu’un camina, Al torn de l’ostal.
Dins lo ventàs qualqu’un prega, O ! Menina, ai paur !
Dins lo fum qualqu’un renèga, Al ras del pont nòu.
2/ Lo can jaupa jos la pòrta, Al trepeg que fan …
Los que caminan per òrta, D’ont venon ? ont van ?
Son los paures mòrts, nenòta, Que’l ser de Totsants
Fan lo torn de la vilòta. Vai … son pas missants.
3/ Tre qu’amont, dins l’escurina, Tinda l’Angelus,
Jol lençòl plegant l’esquina, Del fons del treslutz,
Cap a nosautres tornatz, trèvas, Passatz lo grand Riu
Per dire a las armas grèvas, Que lo mòrt es viu.
4/ Que noirissètz nòstra vida, Paures trespassats
E que sèm que l’espelida, Dels sègles passats (…)
Sénhers, faidits e lauraires, Pecats e vertuts,
Los nòstres mòrts remembraires, Totes son venguts.
5/ Es venguda la Menina, Del fons del treslutz
Aussissent dins l’escurina, Tindar l’Angelus (…)
La nuèit vos garde, Meninan, Dins son fum gelós,
Mas mon ama s’encamina, Sens paur prèp de vos. (bis)
6/ Qualqu’un sospira, Menina, Qualqu’un plora aval.
Dins lo fum qualqu’un camina, Al torn de l’ostal.

Loisa Paulin ¨Laurent Cavalièr